Si j’ai choisi de conduire un poids lourd, c’est uniquement pour faire ce que j’aime, en restant moi-même. Depuis l’âge de 14 ans, j’aime la mécanique, l’odeur du gas-oil. Pendant des années, j’ai photographié tous les camions que je croisais en me disant : un jour, je serai derrière ce volant. Je suis très fière aujourd’hui d’être restée femme dans ce milieu impénétrable, resté masculin à 100%. Loin d’être prétentieuse, je pense avoir su me faire aimer et respecter dans ce milieu. Il suffit de très peu de choses pour être acceptée, mais très peu aussi pour en être rejetée. J’ai toujours respecté les routiers et je n’ai jamais voulu les épater ou les dépasser, les ridiculiser, et encore moins les ignorer. J’ai souvent eu besoin d’eux pour parfaire mes connaissances, pour me dépanner, pour me sentir en sécurité sur la route. Des milliers de fois, de vieux routards m’ont donné des conseils, fait des recommandations (que je connaissais déjà) mais, pas une fois je leur ai fait comprendre qu’ils perdaient leur temps en voulant m’apprendre ce qu’ils croyaient, à juste titre, être nécessaire à mon métier. Je les ai toujours écoutés poliment, gentiment et en les remerciant. Sincèrement, ils repartaient heureux, contents et je sais qu’ils disaient entre eux : « Elle ira loin cette petite, elle est bien ». Bien entendu, il y a ceux et celles qui ne m’aimaient pas, par jalousie, par misogynie. Ces sentiments à mon égard m’ont toujours laissée indifférente, dans la mesure où ils n’intervenaient pas dans l’exercice de mon métier. Cela n’a pas toujours été le cas. J’ai essuyé des actes de vandalisme qui ont cessé de guerre lasse, en voyant que j’en sortais toujours fière et sans encombre. Moralement, c’était une épreuve, mais ma conscience était tranquille. J’ai passé ma vie à prouver à tous qu’un métier, quel qu’il soit, pouvait être exercé sans distinction de sexe et que, dans la vie, j’ai toujours marché comme un homme sans jamais m’identifier à lui. Un défi lancé à la face des hommes ? Non, certainement pas. La réalisation d’un rêve, d’une passion, d’un amour démesuré pour les poids lourd. Voilà ma vérité : je ne suis pas devenue routière pour prouver quelque chose aux hommes. Je l’ai fait pour me prouver, à moi seule, qu’être une femme n’est pas un handicap, quelle que soit la profession choisie. Il me semble avoir vécu la période de ma vie la plus enrichissante, la plus dure aussi, de toute mon existence. Dois-je remercier la chance, le ciel ou mon ange gardien ? Les trois, je crois. Sans eux, je n’aurais pas eu le courage de continuer certains jours, car la vie de routière est la plus difficile à vivre. Loin d’être de tout repos, elle est pourtant la plus belle !